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Issu en 1998 de l’Aca de liège, Thierry Grootaers a suivi les cours de peinture de Freddy Beunckens et  de dessin Jean Pierre Rensonnet.

Qu’on ne s’y trompe pas, si les résonances Broodthartiennes dans son nom nous chatouillent l’oreille, elles n’ont rien à voir avec l’approche artistique du grand Marcel. Thierry Grootaers n’a rien d’un conceptuel pur et dur. Le métier, lui, il connait. Il sait dessiner, il manie le pinceau et les couleurs sans complexe pour en extraire des compositions élaborées. L’effacement et l’ajout sont clairement revendiqués et font partie intégrante de son processus pictural. Son terrain de chasse privilégié c’est son quotidien, c’est là qu’il décline le mieux sa poétique. En bon chroniqueur de surface, il endosse l’habit de l’anthropologue pour mieux s’attarder à  décrypter, non sans humour, nos us et coutumes journaliers.

L’artiste habite Haccourt, un petit village de campagne proche de Liège, un véritable microcosme, centre du monde ou tout converge. Il suffit, m’avoue-t-il, de sortir de chez moi et de regarder les gens, j’aime voir comment ils se parlent, comment ils promènent leur chien, comment poussent, comme des champignons, les maisons clefs sur porte et leur architecture si particulière où il est possible d’imaginer les petits intérieurs proprets des gens qui y vivent…

Tous les jours, c’est comme un rituel, il consacre une partie de son temps archiver ses arpentages dans son journal intime. La peinture le dessin deviennent les supports de prédilection pour marquer ce territoire qu’il observe sans complaisance. Haccourt, c’est un peu Perpignan sur Meuse : le centre d’un monde en devenir…

Dans son travail, les jeux mise en relation fonctionnent tout aussi bien au niveau humain qu’au niveau des objets. De la télécommande au mobilier, en passant par la bagnole, pas de hiérarchie particulière au niveau des signes. Les visages, les silhouettes des personnages, repris de vieux magazines, sont traités dans sa palette chromatique comme les objets familiers qui les entourent. Des grands champs colorés qui ne s’animent qu’au niveau d’une ambiance ou d'une posture particulière.

L’ensemble fait penser à une mosaïque de couleurs qui nous plonge directement au cœur d’une réalité. Une constante, la posture dans l’attitude. Le geste banal, les stéréotypes véhiculés par l’humain sont bien mis en avant-scène. Au-delà du bien et du mal, le jeu de l’imposture n’est pas absent. Il fait aussi partie de notre monde, comme dans cette petite toile ou l’on reconnait un officier nazi tendant une main amicale à un petit enfant. L’uniforme du soldat est volontairement peint en bleu, une manière singulière en brouillant les pistes.

Lino Polegato

 

 

Le potentiel à produire un discours réflexif par la peinture est exploité, dans une approche concrète des procédés manuels, sans recours à des systèmes existants. Cette immédiateté n'est pas sans rappeler le côté « do it yourself ! » de la culture punk. Intervenir, remuer l'équilibre du paysage ; tout changement demande un rythme nouveau pour une modification profonde des états. Pas de nostalgie postmoderniste, mais un travail de collage et de transformation à partir d'éléments spatiaux temporels de provenances hétéroclites. Dans son laboratoire, le peintre bricole, depuis un chaos apparent d'images, un espace de sens, expérimente des mises en rapport, des rencontres.

La physicalité de la peinture ne cherche pas à recharger les images du réel perdu, leur caractère préfabriqué se voit gonflé des possibles de la peinture. Le geste au dessin, avec l'intuition comme déclencheur du processus opératoire, digère les figures, transfert les signes en motifs. Ils ne représentent plus, ils incarnent les personnages d'une nouvelle réalité. L'exercice ne tend pas vers le descriptif ou le narratif, il concentre une puissance d'action. L'indépendance acquise par les protagonistes de la composition n'est pas reprise, les motifs existent avec parfois même un don d'ubiquité à travers les toiles, voyageant d'une scène et d'une réalité à l'autre.

Le projet de l'entreprise picturale s'expanse encore lorsque certains dessins se muent en sculptures. L'idée du portrait se profile, référence aux tableaux et images intimes dans nos intérieurs, le motif devient acteur mémorable de l'univers du peintre. Les frontières établies sont sondées, l'espace pictural gagne l'espace réel et le contamine.

Anna Ozanne

SAFE SPACE

Depuis presqu’un an, Mikail Koçak (°1989) et Thierry Grootaers (°1974) préparent une collaboration artistique. Si leurs pratiques esthétiques semblent éloignées l’une de l’autre (l’un pour des installations aux composantes variées, le second pour sa peinture et ses sculptures), des thématiques communes traversent leurs grammaires plastiques et leurs univers artistiques. 

Leurs manières d’intégrer des souvenirs et des expériences personnelles et générationnelles dans leurs créations se rencontrent, des éléments domestiques se mélangent ; le paysage témoin de mutations modernes et de replis intérieurs ; la maison comme frontière protectrice ; la frontière comme cadre de référence familial, social et culturel depuis lequel on regarde l’Autre.

De ces réflexions, naît une exposition-boîte livrée à deux « clef sur porte », une manière de créer en duo sans assimilation ni fusion des individualités.

Une scénographie-scénario sans méthode, avec fous-rires et confrontations de récits se met en place. On parle mutation et construction. Dans l’ancien appartement transformé en espace d’exposition, une maison préfabriquée se construit. Les artistes-artisans insèrent leur propre structure de murs de bois dans le salon et placent de la moquette dans la chambre. Les artistes-architectes pensent l’espace en termes esthétiques et fonctionnels. Au four et au moulin, on façonne un intérieur à base de doutes malicieux, de poésies et d’une dose astucieuse d’absurdité. 

« Safe space », ou « espace sécurisé » ou encore « zone neutre » en français, est une expression qui désigne plusieurs réalités, expériences, espaces et idées au fil du temps. D’abord lieu de réunions inventés par les marginalisés pour penser leur force d’autonomisation (empowerment), il devient ensuite espace sécurisé dans les universités (USA) pour protéger les minorités (sexuelles). Par extension, les espaces immatériels de discussions sur internet (forums, chats) semblent tout rendre visible, même la marge, mais cloisonnent aussi le monde. Safe space devient un espace de replis face à des opinions qui diffèrent des siens : faux débats télévisés sans conflits, espace virtuel sécuritaire où les idées toutes faites évitent la remise en question. 

L’environnement privé comme protection positive douillette à son image ou comme isolement sécuritaire ? Les deux plasticiens proposent de regarder le monde depuis leur abri, avec la sensation binaire et confuse d’être protégé d’un réel fictif, à moins que la vision ne soit biaisée par l’expérience du lieu.

Anna Ozanne

Exposition: Safe Space/ Space -collecting people

Let’s Sing Another Song

whitehousegallery 25 Apr 2021 - 23 May 2021 

Volckaert invites Thierry Grootaers (1974) to enter into a dialogue with his own work. Grootaers' paintings look very different: he works with bright, cheerful colours and a combination of figuration and abstract planes. He is interested in everyday scenes, such as interior views that radiate a homely atmosphere, but also allows human characters to enter the majority of his works. There is often a wittiness to them: they contain a wink, a joke, an unexpected element, or something that is not quite right.

The pleasure of painting is very clear with Grootaers. The pure, simple joy that drives him can be felt in every brushstroke, every colour area. The artist admits that he also enjoys the seemingly most banal things: preparing a canvas or painting a background. He works every day and always starts intuitively. While filling a colour plane, without any further plan, new ideas arise and he finds inspiration. The work develops by itself, the paint brings its own coincidences, little ‘accidents’ that guide the artist.

The vintage interiors, the collage-like juxtaposition of figures and background, the bright areas of colour – mainly red and yellow – are reminiscent of pop art. An important distinction, however, is the painterly gesture: the obvious brushstrokes that create a universe in thin but multiple layers, one on top of the other.

The characters who interact with each other or simply live in their own trusted environment - working in their garden, sitting at a table, dancing in the living room - breathe lightness. The images are harmonious, comfortable in their simplicity, satisfied and sometimes even downright optimistic. The work has a certain tenderness, in the way in which Grootaers allows his characters to lead a life of their own, but also in the winks he hides here and there; references to a film he saw, an inside joke that he shares with his own family, or – even more often – a reference to his own works. Sometimes the same character returns: there is one female figure, for example, that regularly seems to jump from scene to scene and from painting to painting.

There is no resentment or acrimony in the works, yet mystery does creep in here and there: in a subversive element or simply in a significant silence. An interior where the perspective is not quite right (Grootaers likes to mislead us in that regard) can also be very scary: a scene that awaits a crime, or that reminds us of terrifying interactions à la Lynch.

Sometimes he works again and again on the same canvas for years. On the back he always registers the date on which he works – a list that can span up to 15 years. Small or large gestures on the canvas are like a diary, records of small moments in life. They are inextricably linked to his personal memory and experience. These many reprises also make the previous lives of the canvas shine through in the surface: as the basis for the visible story, or as ghosts of a memory.

Grootaers paints figuratively, but also allows for a lot of imagination in intuitively chosen abstractions. For example, one part of an interior is left completely empty, or characters are not given a face. Some figures or objects remain a contour, and stand transparently against the background – phantoms that sharpen the sense of imagination and crank up the mystery. Moreover, these translucent factors cause foreground and background to merge and any sense of perspective to crumble.

It is in this reduction and in the abstract levelling of foreground and background that Volckaert and Grootaers meet each other. A comparison between the two artists is not quite relevant. They engage in a free dialogue, each in their own right, with their own methods, reflections and painterly arguments. They seem to be far apart, but every now and then their different rhythms do find a certain harmony.

Tamara Beheydt, March 2021

Nieuwe ademruimte

Over het werk van Thierry Grootaers

Thierry Grootaers (°1974) maakt schilderijen die op een geheime manier spreken over de benauwende jaren vijftig of tachtig, doorgebracht in een donker huis en dromend over een bevrijdende, modernistische architectuur, licht, lucht en vrijheid. De beelden die we zien zijn bedrieglijk. Ze doen ons denken aan architectuur en binnenhuisarchitectuur omdat ze ons doen denken aan schaalmodellen van woningen. Toch hebben er nooit dergelijke, gedetailleerde maquettes bestaan, tenzij poppenhuizen. Wat gebeurt hier dan wel? Het lijkt alsof illustraties uit geïllustreerde weekbladen een nieuw leven krijgen, met een valse ruimtelijkheid, die wordt mogelijk gemaakt door het schilderij. Kijken we naar hetzelfde verschijnsel vanuit het standpunt van het schilderij, dan zien we beelden die een nieuwe picturale ruimtelijkheid mogelijk maken, een speelveld voor kleurvlakken die zich op verschillende dieptes lijken af te spelen.

De meeste schilderijen komen tot stand in drie bewegingen. Allereerst worden kleurvelden aangebracht met acrylverf en spalterkwast. Dan wordt een figuratieve voorstelling toegevoegd, door Grootaers omschreven als ‘scénette’ (tafereeltje, charade), en wordt gewacht en gekeken. Eén muur van het atelier is als in een 19de-eeuwse salon behangen met tal van schilderijen in wording, die traag prijsgeven hoe ze voltooid moeten worden. Soms wordt het tafereeltje opnieuw (gedeeltelijk) overschilderd, soms wordt het weggewist of weggeschuurd. Vaak krijgt het schilderij nieuwe monochrome kleurvlakken die zich aan de voorzijde van het schilderij lijken op te houden. De figuratieve laag krijgt schaduwen en volume, de eerst en de derde laag zijn vlak.

Nu we weten hoe ze worden opgebouwd, kijken we opnieuw naar deze vreemde, platte bouwsels, die schuilplaatsen lijken voor onuitgesproken gedachten. De personages lijken verwikkeld in tijdloze, bevroren perikelen. Hondenhokken zonder dak worden getekend met verkeerd perspectief en zonder schaduw, waardoor voor- en achterwand even groot blijven, als twee geometrisch opgebouwde vlakken die alleen werkelijkheidswaarde krijgen binnen het schilderij (niet als representatie, maar als kleurveld). De auto’s en de huizen lijken te spreken over een geborgenheid die tegelijk als verstikkend ervaren wordt, een verstikking die misschien alleen al schilderend overstegen wordt. Want bovenal lijken alle bestanddelen van deze schilderijen, of het nu om louter kleurvelden of om voorstellingen gaat, in de eerste plaats puzzelstukken te zijn in complex opgebouwde, nieuwe picturale ruimtes, die enkel als schilderij kunnen bestaan.

Hans Theys

Montagne de Miel, 19 augustus 2021

Lumière, air et liberté

A propos du travail de Thierry Grootaers

Thierry Grootaers (né en 1974) fait des peintures qui parlent secrètement d’années oppressantes, passées dans une maison sombre et rêvant d'une architecture libératrice et moderniste, de lumière, d'air et de liberté. Les images que nous voyons sont trompeuses. Ils nous rappellent l'architecture et le design d'intérieur parce qu'ils nous rappellent des modèles réduits de maisons. Pourtant, de tels modèles détaillés n'ont jamais existé, sauf pour les maisons de poupées. Alors que se passe-t-il ici ? Des illustrations de magazines illustrées semblent reprendre vie, avec une fausse spatialité rendue possible par la peinture. Si nous regardons le même phénomène du point de vue de la peinture, nous voyons des images qui permettent une nouvelle spatialité picturale, un terrain de jeu pour des zones de couleur qui semblent se dérouler à des profondeurs différentes.

 

La plupart des peintures a été créée en trois mouvements. Tout d'abord un fond est créé avec des champs de couleur appliqués avec de la peinture acrylique et un pinceau spalter. Puis une représentation figurative est ajoutée, appelée « scénette » par Grootaers. Puis le peintre attend et regarde. Un mur de l'atelier est accroché comme dans un salon du XIXe siècle avec de nombreuses peintures en cours, qui lentement révèlent comment elles doivent être complétées. Parfois, la scénette est (partiellement) repeinte, parfois elle est effacée ou poncée. Souvent le tableau est complété de nouveaux plans de couleur monochromes qui semblent se tenir à l'avant plan du tableau. Les scénettes sont modelées, les fonds et les derniers ajouts sont plats.

 

Maintenant que nous savons comment elles sont construites, revenons sur ces étranges structures plates, qui semblent être des abris pour un non-dit. Les personnages semblent être impliqués dans des aventures figées et intemporelles. Les niches de chien sans toit sont dessinées avec une fausse perspective et sans ombres, de sorte que les murs avant et arrière restent de la même taille, comme deux surfaces géométriquement construites qui n'acquièrent une valeur de réalité que dans la peinture (pas comme une représentation, mais comme un plan de couleur). Les voitures et les maisons semblent parler d'un sentiment de sécurité ou de confort ressenti à la fois comme suffocant, une suffocation peut-être transcendée seulement par l’acte de peindre. Car avant tout, toutes les composantes de ces peintures, qu'elles soient purement des plans de couleurs ou des représentations, apparaissent avant tout comme des pièces de puzzle dans des espaces picturaux complexes et nouveaux, qui ne peuvent exister que dans une peinture.

Hans Theys

Montagne de Miel, 19 août 2021

Un tracé vigoureux pour croquer les postures sociales à l’ère du zapping culturel, de l’«entertainement» à tout prix, de la communication creuse, du paraître pour rien et des grandes solitudes post - industrielles et ultra-modernes.

Thierry Grootaers, qui vit quelque part dans la campagne belge, revendique cette ruralité et entretient un  rapport critique, distant  et rêveur, avec notre moderne urbanité, ses agitations, ses pompes et ses leurres. Il se sent en fraternité avec aussi bien James Ensor que Neo Rauch,

Peintre allemand, chef de file d’une certaine figuration actuelle, très «déroutante» également et à la recherche de voies inédites pour une picturalité de bon aloi.

Frère aussi de toute une génération de nouveaux dessinateurs de par le monde, qui entreprennent, en phagocytant  les images de la vie moderne, de les assimiler, de les réexaminer au fond, et de les remodeler pour une autre vision des choses. Pas «visionnaires» cependant, ni illustrateurs, ni littérateurs engagés pour telle ou telle cause… Non, il s’agit plutôt pour eux  d’inventer une autre syntaxe plastique, un nouveau geste, une nouvelle écriture, pour mieux rendre compte, pour mieux re-présenter par une mise en forme appropriée pour un vrai regard sur  notre  contemporanéité post -industrielle, sur le dérisoire de notre société de consommation, sur «l’ultramoderne solitude» des individus acteurs de ce grand carnaval très «ensorien» en effet.

Le tracé est donc très syncopé, ravageur-ravagé, elliptique, ludique, acrobatique… mais d’une exactitude, d’une  cohérence, d’une harmonie et d’un équilibre  évidents. Et c’est bien ce qui fait son charme délicat et mystérieux.

Martin Rey

Magasine Artension n°47    Mai Juin 2009

La curiosité est un très beau défaut

Chez GNF Gallery, à Bruxelles, deux peintres belges qu'on a pu voir cet été à l'Orangerie de Bastogne. Charlotte Marchand et Thierry Grootaers exposent ensemble jusqu'au 19 octobre 2019

Le titre de l'exposition, Curiosity killed the cat, est une expression anglaise qui sous-entend que trop de curiosité est néfaste. La galeriste Nadine Féron dit : "Il existe cependant une autre manière de voir les choses: la curiosité comme force d'invention, comme élan à comprendre les choses qui se dérobe à nous, et à créer de nouveaux entendements." C'est à quoi s'attellent les deux artistes, pour qui la peinture est le lieu d'une exploration sans frein de la représentation des choses, de l'objet qui devient motif - à entendre aussi au sens figuré. Car la peinture est pour eux le motif, la raison d'une perpétuelle curiosité. Comment représente-t-on aujourd'hui  le réel et tous les éléments qui le compose. Emmanuel Van der Auwera nous a donné une  solution avec sa spectaculaire installation vidéo à voir actuellement au Botanique.

Thierry Grootaers (1974, Bilzen, Belgique) utilise un médium certes traditionnel, et pourtant, il nous montre lui aussi un monde sans dessus dessous, où les objets représentés viennent de contextes différents et se mêlent sur la toile en un ensemble ébouriffant. Voyez cette grande toile montrant une maquette ouverte de maison à deux étages. Est-ce une maison de poupées, une image d'architecte, une vraie maison ? Ou cette autre présentant un intérieur à moitié masqué d'un panneau ou d'un rideau gris, qui divise l'image en deux. Un personnage s'y abrite sous un abat-jour qui pourrait être un parasol. A droite, des cadres sur le mur, des œuvres dans l'œuvre, surplombant un fauteuil juste esquissé. Le sol est vert. Sommes-nous dans un jardin ou à l'intérieur ? Et ce personnage, est-il bien vivant ou juste une silhouette plate glissée sous le rideau ? Beaucoup de maisons dans les peintures de Grootaers. Formes reprises mais toutes différentes, parfois aussi petites qu'un nichoir pour oiseau, parfois structurant l'entièreté de la toile. Des intérieurs aussi. Et peu de personnages. Sur la cheminée de la galerie, deux silhouettes de femmes en carton découpé sont posées, hors des toiles, donc. 

Charlotte Marchand (1968, Toulon, France) file plus vers l'abstraction. Le jeu entre les différents plans est intense, parfois l'arrière-fond monte au créneau, parfois des motifs jetés d'une brosse vive relèguent à l'arrière de vaste aplats de couleur vive. Formes souples, arrondies, comme des lacs, se confrontant à d'autres strictement rectilignes. La couleur est chez Marchand le motif de la peinture. C'est elle qui guide la composition, en dehors de toute représentation du réel. Ce va-et-vient entre les différents plans fait comme une scène mouvante, celle d'un théâtre où les décors se chevauchent, s'inter pénètrent et font perdre au spectateur la notion d'espace et de ligne d'horizon. L'œil ne glisse pas sur une surface mais entre dans un labyrinthe où il fait bon se perdre.

Charlotte Marchand, Thierry Grootaers

Muriel de Crayencour
The curiosity killed the cat
GNF Gallery

PAS DE PORTE

Conversation avec Thierry Grootaers.

A quelques kilomètres de Visé, sur la rive droite de la Meuse, majestueuse à cet endroit, se cache un petit village qui, c’est certain, ne figurera jamais dans un guide touristique. Un seul coup d’œil, depuis ma voiture, suffit d’ailleurs pour m’en convaincre.

Témoignant tous du même vide architectural, je découvre, sur le chemin qui me mène chez  Thierry Grootaers, des dizaines de petits pavillons aux couleurs fanées et une série de bungalows « clé sur porte » bordés par les inévitables haies de tuyas laissant entrevoir, çà et là, quelques géraniums achetés avec leurs jardinières vertes au BRICO du coin. 

Le décor est planté et comme le chantait Charles Aznavour « banal à pleurer ».

Et pourtant, c’est dans ce « no man’s land » ni urbain ni rural, que l’artiste a délibérément choisi de vivre, d’aménager son atelier et son grand jardin.

Mon GPS m’indique que je suis arrivée, Thierry m’accueille sur le pas de sa porte et, dès le hall d’entrée, je change complètement d’univers, les lieux reflètent souvent la personnalité de ceux qui les occupent. Sa maison, très différente de ses voisins, est vaste, ancienne et construite en briques rouges. En montant les escaliers pour le suivre, je m’arrête et prends le temps de regarder ce qui est en soit une exposition. Sur les murs, l’artiste a accroché sa collection de vieilles cartes postales, des tableaux d’amis artistes, des affiches publicitaires des années soixante, des souvenirs de famille, des ex-voto à foison, d’anciens jouets chinés en brocante. L’ensemble dégage le charme de certains musées ethnographiques « style capharnaüm » qu’on peut encore trouver,  en cherchant bien, dans le fin fond de nos provinces.

Au second étage, quand il m’ouvre la porte de son atelier, dans cette vaste pièce mansardée blanche et lumineuse, la magie opère…

Rapidement, je capte au hasard quelques œuvres :

  • Une maison blanche devenue nichoir décorée d’un grand sablier bleu vif se dégage sur le fond d’un paysage de bouleaux morts nimbés de couleur feu.

  • A gauche, une autre toile avec d’autres maisons, celles-ci sont peintes en rose, en turquoise et en jaune et leurs panneaux photovoltaïques ressemblent à s’y méprendre aux boîtes de crayons Caran d’Ache qui ont enchanté des générations d’enfants  

  • Et puis là, cette suite de palissades ponctuées de couleurs vives où deux arbres, rapidement tracés, encadrent une sculpture. Est-ce un totem ? un épouvantail ? 

Je pose la question à l’artiste. « Les deux, me dit-il, mais c’est aussi une référence, un clin d’œil à une œuvre qui m’a beaucoup marqué :  « L’Homme-oiseau » de Thierry de Cordier que j’avais découverte au SMAK de Gand, il est présent dans plusieurs de mes tableaux, je le modifie, cependant, c’est toujours lui qu’on peut deviner dessiné en filigrane. En tout cas, il sera présent à la Galerie de Wégimont, certains le débusqueront peut-être.

Cette exposition, continue-t-il, sera centrée sur ce que son titre indique déjà, « pas de porte », cet interstice ambigu qui fixe la limite entre moi et les autres, ma maison et les paysages environnants, mon journal intime et le monde extérieur.

Je marche beaucoup, je me promène, je regarde,  je prends des photos et je parle aux gens. Tout m’intéresse, le logo jaune du BRICO au-dessus des toits gris, les rideaux en plastique de couleur, les « potales » garnies de fleurs artificielles, mes copains qui coupent un arbre, ma femme avec son gsm dans le jardin ou pourquoi pas des casiers de bière rouges vifs, rangés à côté des barbecues. Je ne fais aucun tri, je n’établis aucune hiérarchie, je travaille sur le motif comme le faisaient les anciens, Van Gogh et son chevalet figurent d’ailleurs dans mes tableaux.

Lorsque j’ai fini mes provisions, je ramène tout à l’atelier et là, ça vient comme ça vient. Je peins vite, je mets des couches de fond grises puis, je balance ce que j’ai récolté. La peinture m’aspire, je pose d’abord des plaques de couleur puis je superpose, j’efface, je raconte une histoire. Quant aux couleurs, je me donne le choix. S’il y a trop de vert dans ce paysage, je reviens avec du rouge sur les pelouses, puis, j’attends et souvent, je réajuste. Derrière mes travaux, j’archive toujours les dates de me interventions, à la manière de Jean-Pierre Rensonnet qui fut mon professeur à l’Académie royale des Beaux-Arts de Liège et à qui je dois ce rapport au temps et cet amour de faire. Parallèlement à mon travail de peintre, chaque jour, je pose un geste artistique, c’est une sorte de gymnastique qui m’entretient. Je le fais sur une collection de vieux papiers récupérés chez les bouquinistes, je les exposerai peut-être un jour.

Tout cela, pour moi, ce n’est pas du travail, je ne l’associe jamais à l’angoisse ou à la souffrance de la création, je suis plutôt un artiste heureux et comme le disait Bran van Velde « seule la peinture pouvait prendre en charge mon aventure. »

Puisqu’il me parle de lui, je lui propose, sous la forme d’un jeu, de répondre à  un extrait du questionnaire de Bernard Pivot, largement republié depuis son récent décès.

Quel serait votre plus grand malheur ?

Être aveugle.

Ce que vous voudriez être ?

Ce que je suis.

Votre couleur préférée ?

Le rouge

Votre peintre préféré ?

James Ensor mais aussi mon arrière-grand-père, artiste autodidacte qui peignait des copies de tableaux signés par des artistes de renom pour les offrir à ses amis.

Quelle est la phrase qui vous définit ?

J’aime bien partir mais j’aime bien revenir.

Une question que vous vous poser ?

Que voit-on depuis mon seuil ?

Une obsession peut-être ?

Sortir les « non-sujets » de leurs anonymats.

 

Après s’être prêter à cet exercice, Thierry me propose un café dans sa cuisine qu’il a aménagé à son image, comme l’atelier ou le jardin, tout ce qu’il touche porte sa marque et son empreinte.

En prenant congé de lui, je parcours une seconde fois le chemin qui traverse les paysages, les maisons, les gens qu’il peint et qu’il dessine et je les vois autrement. 

Désormais pour moi, ils sont indissociables de la signature de Thierry Grootaers.

 

Dominique Mathieu

 

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